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Le blog de Francis Ampère SIMO

Cameroun : l’homosexualité des hommes publics ne fait pas partie de la vie privée

En 2006, certains titres de la presse nationale, au nom du droit du public à l’information, avaient publié les listes de personnalités présumées homosexuelles qui infestent notre société. Cette démarche avait soulevé une levée de bouclier dans la classe politique. Du coup, tous les concernés et leurs affidés devenus subitement des professeurs de journalisme dispensaient gracieusement des cours d’éthique et de déontologie. Accouru à leur chevet, le Chef de l’Etat Paul Biya réconfortait les pleurnicheurs et classait leurs perversions dans les tiroirs de la vie privée.

La notion de vie privée n’est pas inviolable et intouchable en matière de presse comme ont tenté de le faire croire certains intellectuels. S’il est généralement admis que toute personne, qu’elle soit de notoriété publique ou non a un droit fondamental à la vie privée, à l’intimité, à la dignité et au respect de sa réputation, le public pour sa part a le droit d’être informé sur ce qui est d’intérêt public et la presse le devoir de l’en informer.

Aussi, lorsque des faits, des événements et des situations mettent en cause la vie privée des personnes, la presse doit bien soupeser et mettre en équilibre son devoir d’informer et le respect des droits des individus. Et la règle qui doit guider les médias et les professionnels de l’information dans le traitement des affaires touchant à la vie privée des individus consiste à ne révéler que ce qui est d’intérêt public. Il faut pour cela, déterminer comme le révèle la doctrine française, la frontière entre ce qui, relevant de la vie privée des personnes doit être protégé contre toute révélation indiscrète et ce qui, ayant une incidence ou signification sociale, doit pouvoir être divulgué au nom du droit du public à l’information. Dans le même sens et conformément à la jurisprudence devenue constante, le code de déontologie du Conseil allemand de la presse énonce dans son principe 8 que la presse respecte la vie privée et l’intimité de l’être humain. Cependant, si le comportement en privé d’une personne affecte les intérêts publics, il peut être évoqué dans la presse.

Notion

Mis à part le corps humain qui bénéficie d’une protection spécifique, plusieurs autres éléments rentre dans la vie privée. Ceux-ci peuvent être classé en deux grandes catégories : les éléments relatifs à l’intimité corporelle (la nudité, la santé, la maternité, la sexualité, le décès) et les éléments touchant à la vie personnelle (la vie familiale, le domicile, la vie sentimentale et amoureuse, l’image, la vie religieuse, la vie financière, les vacances et les loisirs).

S’agissant de la sexualité évoquée plus haut et qui a été à l’origine de la querelle qui a secoué le Cameroun en 2006, il faudrait dire que la jurisprudence s’est abondamment prononcée sur la question. Selon les juridictions françaises et canadiennes, toute révélation relative à la sexualité des individus doit, sauf cas exceptionnels, être considérée comme étant proscrite, qu’il s’agisse de la divulgation de faits intéressant directement la personne mise en cause et dévoilant ses préférences sexuelles, qu’elles soient réelles ou supposées ou bien encore qu’il s’agisse de la révélation de faits ayant un simple rapport avec la notion de sexe.

Exceptions

C’est ici que l’affaire de l’homosexualité déclenchée par la presse devient intéressante. Car les cas exceptionnels dont il est question ici peuvent prendre plusieurs contours. Tout d’abord, bien que l’homosexualité fasse partie intégrante de la vie privée dans certains pays parce que dépénalisée et banalisée, cette pratique devient exceptionnelle au Cameroun parce qu’elle est sévèrement réprimée par la loi. En effet, l’article 347 bis du Code pénal sanctionne d’une peine d’emprisonnement l’homosexualité qui est un délit. De même, l’ordonnance n°81 du 29 juin 1981 organisant l’état civil au Cameroun en son article 52 alinéa 3 s’oppose au mariage homosexuel.

Bien plus encore, un autre cas exceptionnel pourrait être la qualité des personnages qui constituaient la liste des  présumés homosexuels. Sous réserve de l’exception de vérité, il apparait que les individus cités étaient tous des personnes publiques. C’est-à-dire celle qui font appel à la confiance du public sur le plan professionnel ou financier, celles qui recherchent les faveurs du public sur le plan des lettres et des arts, enfin celles qui acquièrent une certaine notoriété par la fréquentation d’un certain milieu ou la participation à un fait d’actualité ; En bref, la notion de personnage public doit s’entendre d’une part de ceux qui assument une fonction publique et qui supportent en tant que tels une légitime notoriété, d’autre part ceux qui, de manière régulière, recherchent ou entretiennent, à titre professionnel, une nécessaire notoriété.

Sans aller jusqu’à soutenir que les personnes publiques n’ont pas droit  à la vie privée ou que la vie privée des hommes publics est publique, il faut bien convenir que la zone couverte par le secret est considérablement réduite lorsqu’on se trouve en présence de personnages publics. Cette analyse est quasi-unanime en doctrine. Ce, en raison du droit du public à l’information qui est un droit constitutionnel au Cameroun. Si donc tous les éléments que nous avons énumérés plus haut relèvent de la vie privée, cela ne signifie pas nécessairement  qu’ils interdisent le libre exercice  du droit à l’information et mettent obstacle à la liberté d’expression qui est le principe fondateur du droit des médias.

Quoi qu’il en soit, en présence d’un personnage public, l’attention, pour ne pas dire la curiosité du public se portera tout naturellement sur ses agissements que s’il s’agissait d’une personne anonyme. Certes, il est de principe que l’article 9 du Code civil ne distingue pas entre une personne connue du public et un simple particulier et que la célébrité n’exclut pas, en elle-même, une nécessaire protection de la vie privée. De fait, toute personne, quelle que soit sa notoriété, à le droit de s’opposer à la publication, sans son consentement des faits touchant à sa vie privée.

Les incursions qui sont aujourd’hui admises dans la vie privée des hommes publics ont été imposées par la jurisprudence. En effet, par plusieurs décisions de 1961 à 1966, les juridictions françaises ont retenu que, plus une personne est célèbre plus le domaine de sa vie publique est étendue au détriment de celui de sa vie privée. Emboîtant le pas à la jurisprudence, la doctrine retient que s’il est admis qu’à l’égard des personnages publics, le public doit pouvoir disposer à leur encontre d’un droit de regard particulièrement étendu, il faut également convenir qu’au-delà de la seule vie publique de ces individus, le public est en droit également de connaître comme l’a révélé le TGI de Paris le 2mai 1974, « tout ce qui dans sa vie privée peut apparaître comme la confirmation ou le démenti de la dite vie publique ». En d’autres termes, des l’instant où le public a un intérêt réel à être informé, la notion de droit à l’information vient transcender la distinction entre vie privée et activités publiques. Sous réserve que l’information présente un caractère utile et qu’elle soit justifiée par le devoir du journaliste de porter à la connaissance du public des faits d’actualité.

Dans le cadre de l’affaire donc nous faisions mention, l’utilité tient ici de ce que ce qui est évoqué présente un rapport avec l’activité à l’origine de la célébrité  ou à l’aura de certaines personnes. En effet, certains présumés homosexuels étaient  aussi accusés d’ériger cette pratique en condition pour être promu, et certains d’autres n’occuperaient leur fonction d’aujourd’hui que grâce à cette ignoble pratique.


Francis Ampère SIMO
Dr/Ph.D en Droit

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