Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le blog de Francis Ampère SIMO

Statut du journaliste : la clause de conscience est un privilège pour la profession

Le droit du travail du journaliste permet à celui-ci de rompre, dans certaines conditions, le contrat qui le lie à son employeur et d’avoir droit à des indemnités.

Le droit de la presse ou droit des médias est connu comme dérogeant au droit commun avec pour spécificité de désavantager, sur plusieurs points, les professionnels de l’information. En droit pénal commun par exemple, en cas de commission d’une infraction la charge de la preuve appartient au plaignant. Ce qui n’est pas le cas en droit pénal des médias, où la charge de la preuve est inversée.

En droit commun également, alors que toute personne suspectée d’avoir commis une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa condamnation soit devenue irrévocable. En droit pénal des médias, notamment en ce qui concerne la diffamation et l’injure, il pèse sur le journaliste, en cas d’infraction, une présomption de mauvaise foi et de culpabilité. Traditionnellement, la jurisprudence présume l’intention de nuire du journaliste.

En contrepartie de ce régime considéré comme « frustrant » pour les professionnels de l’information, le droit du travail du journaliste déroge au droit commun du travail. Aussi, l’élément le plus spécifique du statut du journaliste concerne dans la majeure partie des législations libérales la rupture du contrat de travail, plus particulièrement une des formes de rupture du contrat par la mise en jeu de la clause de conscience.

Prévue expressément dans certaines législations comme c’est le cas en France avec l’article L 761-7 du Code du travail, cette clause de conscience apparaît comme un droit absolu du journaliste destiné à garantir son indépendance et sa liberté. Elle est envisagée par la charte de Munich qui semble être le texte déontologique de base de l’activité journalistique dans le monde. Selon cette charte, en effet, si le journaliste a des devoirs, ceux-ci ne peuvent être effectivement respectés dans l’exercice de sa profession que si les conditions concrètes de son indépendance et de sa dignité professionnelle sont réalisées.

Ces conditions se déclinent, pour l’essentiel, en droit à un contrat de travail garantissant sa sécurité matérielle et morale, à une rémunération correspondant au rôle social qui est le sien et assez suffisante pour garantir son indépendance économique, en droit au bénéfice des conventions collectives.

Principe

Sur le plan professionnel, elles s’analysent comme droit au libre accès à toutes les sources d’information non couvertes par le secret, droit d’enquêter librement sur les faits qui conditionnent la vie publique et enfin au droit à la clause de conscience. S’agissant spécifiquement de cette dernière, elle est la faculté accordée au journaliste salarié de prendre lui-même l’initiative de rompre le contrat de travail qui le lie à son employeur tout en ayant droit aux indemnités qui lui seraient dues pour fait de licenciement sans faute de sa part. Ce régime est un régime de faveur pour le journaliste. En effet, aucune autre profession n’accorde aux salariés un droit de démission avec indemnités, au nom de la protection des intérêts moraux : l’honneur et la dignité. Ceux-ci sont supposés être plus engagés en journalisme que dans toute autre profession.

La doctrine et la jurisprudence s’accordent sur le fait que la clause de conscience est susceptible d’être invoquée par un journaliste dans trois hypothèses bien précises : « en cas de cession du journal ou périodique ; en cas de cessation de la publication, du journal ou du périodique pour quelque cause que ce soit et en cas de changement notable dans le caractère ou l’orientation du journal ou périodique, si ce changement crée, pour le journaliste, une situation de nature à porter atteinte à son honneur, sa réputation, ou d’une manière générale, à ses intérêts moraux ». Le Pr. Charles Debbasch soutien que « la clause de conscience a pour effet d’entraîner la résiliation du contrat de travail et l’obligation pour l’employeur de lui verser (au journaliste) l’indemnité de licenciement ».

La mise en œuvre de ce mécanisme soulève dans la pratique des difficultés liées notamment à la définition des hypothèses dans lesquelles la clause de conscience peut jouer.

Appréciation délicate

La bonne occasion d’illustrer notre propos  nous a été offerte par  le quotidien Mutations aux mois de juillet et août 2007, où des associés empêtrés dans une querelle de leadership fratricide se sont donnés en spectacle,  une partie de journalistes qualifiés de « mutins » subissaient un pressing constant de la SMC, à travers des communiqués les invitant à regagner leur poste de travail qu’ils ont abandonné depuis le 16 juillet. Ces journalistes étaient même menacés de poursuite devant les juridictions camerounaises pour rupture abusive de contrat de travail.

Saisissant cette occasion en qualité de spécialiste, nous avons porté à la connaissance des journalistes dont la conscience est quotidiennement violée ici et là au sein des médias nationaux, et incidemment aux journalistes de la SMC, qu’une démission peut avoir une explication juridique avec la conséquence qu’ils ne pourront nullement être inquiété par la justice, et qu’au contraire, ils pourraient espérer des indemnités.

En effet, à l’analyse de la situation ayant prévalu dans cette entreprise de presse, l’on s’aperçoit que l’une des hypothèses pouvant justifier l’invocation de la clause de conscience par un journaliste a été exposé et ce, bien au-delà de ce qu’on pouvait en espérer. Il s’agit précisément de l’hypothèse du « changement notable dans l’orientation du journal » que nous privilégions ici au détriment des deux autres.

L’appréciation des éléments constitutifs d’un changement notable dans le caractère ou l’orientation du journal apparaît aux yeux de la doctrine très délicate ; car le journaliste démissionnaire n’a aucune garantie que les arguments avancés par lui seront acceptés par l’employeur ou approuvés par les juridictions. Toutefois, à en croire Emmanuel Derieux, (« Droit des médias » in Médias : introduction à la presse, la radio et la télévision, sous la dir. de Claude J.B, 2ème éd. P.224), l’hypothèse la plus pris en compte concerne les démissions collectives. « Une démission collective, d’une partie de la rédaction, sera sans doute une preuve plus éclatante de la réalité du changement et de l’atteinte ainsi portée à l’honneur ou à la considération des journalistes ou de l’impossibilité, pour eux, de continuer, pour ces raisons, à collaborer à ce journal. Dans tous les cas, la garantie apparaîtra assez négative puisqu’il ne s’agit, de toute façon, que de se soumettre ou de se démettre !»

Comme déjà en doctrine, l’appréciation de la notion de changement d’orientation n’est pas également aisée à établir devant les juridictions. Par exemple, à la suite du changement de rédacteur en chef du journal Minute, un litige s’est élevé entre le propriétaire du journal et un journaliste qui souhaitait bénéficier de la clause de conscience. A cette occasion, la Cour d’appel de Paris tout en accordant la clause de conscience a jugé que : « la légitimité de la mise en œuvre de la clause de conscience par un journaliste devant être appréciée en fonction de la situation de la publication au moment de son départ, et non de circonstances postérieures à celui-ci, le fait que l’hebdomadaire ait pu, au terme d’une longue période de crise, et, le cas échéant, sous la pression de ses lecteurs, retrouver la même ligne politique que précédemment, ne peut avoir pour effet d’amener  à estimer illégitime la décision prise par ce journaliste au moment précis où il s’est déterminé à partir ». (cf CA Paris, 2 mai 1989, SEPA c/ Marc Dem Legipresse 1989 n° 67-III, P.121, note E. Derieux).

S’il est licencié ou s’il a mis en jeu la clause de conscience, le journaliste peut, comme c’est le cas en droit français prétendre à des indemnités de licenciement. Celles-ci sont, en principe, équivalentes à un mois de salaire par année d’ancienneté dans l’entreprise, jusqu’à un maximum de quinze mois de salaire pour quinze ans d’ancienneté. En cas de contestation, c’est très souvent une arbitrale, au sein de laquelle on retrouve les représentants des employeurs et des journalistes, qui est chargée de solder le différend. Et, cette commission est compétente, quelque soit la durée de la collaboration du journaliste dans l’entreprise, pour apprécier la nature et la gravité des fautes reprochées et leur incidence sur les indemnités de licenciement dues.

Francis Ampère SIMO

Dr/Ph.D en Droit

 

 

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article